Au croisement de la Regordane et du Stevenson

Robert Louis Stevenson
14 Septembre 2011


L'une, "La Regordane", s'est frayée un passage à travers le Mont Lozère, sous les roues de lourds charroies et les pas des pélerins de Saint Gilles, l'autre, "le Stevenson" s'est dessiné sous la plume d'un Écossais buissonnier et les sabots de son ânesse... 
  

Croix Huguenote
A quelques enjambées du camp de notre Pucky Pooka, Robert Louis Stevenson, et Modestine, si l'on s'en réfère à son "Voyages avec un âne dans les Cévennes", ont cheminé, frôlés par les fantômes des Camisards, de par les granits bleus de la haute Lozère et les schistes d’ocre et de rouille des Cévennes.

Pour certains, le chemin Stevenson, à cet endroit, suit le cours de l'Allier, pour d'autres, il coupe par le Serre, cette montagne sombre et ronde qui sépare le hameau du Fraisse du bourg de la Bastide-Puylaurent.

Ce chemin du Serre que nous gravissions, au temps d'avant la voiture et de la télé pour tous, dans nos habits du Dimanche, pour nous rendre à la messe, en presque procession. 

Mes grands-parents et leurs deux fils du temps d'avant la voiture...


Nous dégringolions, loin devant les adultes, par une étroite draille bordée d'orties féroces, et de larges et hautes dalles de granit plantées tout du long, jusqu'au torrent en bas de la vallée, que nous franchissions sur une passerelle de béton gris et de vieille ferraille. 


Doucement d'abord, dans la fraîcheur mouillée et le soleil cru, nous glissions dans la diagonale d'un pré d'où jaillissaient de grosses gentianes jaunes aux larges feuilles vernissées et flasques, des digitales lourdes gantées de velours et de pourpre, et de hautes et grêles épilobes roses, toutes pimpantes et dont les plumets d'argent jouaient dans la lumière du matin.


Puis la sente s'enfonçaient sous les résineux puissants et noirs et la chevelure enchevêtrée des grands fayards. 
Les genêts faisaient place aux myrtilles. Les cailloux roulaient un peu plus sous les pieds chaussés en dimanche.


Alors, nous ralentissions l'allure... tout en hâtant le pas ! 
Dans la pénombre presque violette, les mouches tourbillonnaient et bourdonnaient inlassablement autour de nos têtes, sans jamais nous toucher, et le sous-bois aux odeurs de terre et de mousse avaient des craquements, des souffles et des soupirs... 
On ne voyait plus le ciel. 
On savait les sangliers dormant dans le flanc tiède de la montagne, et sans doute, dans des grottes insoupçonnées, les hordes anciennes de grands loups gris et efflanqués... 


Enfin, nous arrivions au sommet. 
Et le soleil revenait chauffer nos têtes et nos épaules. Il y avait une énorme fourmilière en aiguilles de pin, sur la gauche du chemin. Des fourmis à tête rouge que l'on nous disait capables de dévorer un veau vivant, entier et en un rien de temps.
J'avais un doute sur cette histoire, mais, pour avoir vu mon père les agacer avec un bâton, rire de leur émoi, conclure en leur pissant dessus pour s'ébaudir bruyamment de leur affolement, avant de s'enfuir en glapissant des aïe aïe aïe tout en dansant la gigue et secouant son pantalon, j'en avais déduis qu'il valait mieux passer au large et les laisser tranquilles.
Je n'ai jamais supporté que l'on titille les animaux et les enfants, même, ou surtout, "pour rigoler".

Mon père et moi - 1956

Le chemin devenait large et sans intérêt : là, en-dessous, passait le chemin de fer, locomotives à charbon ou "Micheline" rouge du "Cévenol" qui remplacèrent les muletiers de la Régordane, et l'on avait tout le bourg sous notre regard. 
La gare, d'abord, sa place et son hôtel, l'église plus loin, puis les rues où l'on irait, après la messe acheter, la viande pour la semaine, un peu de bœuf qui viendrait compléter le cochon et la volaille, et les miches de pain de seigle. 
C'est tout.

shampoing DOP© Lucien Lorelle

Il y avait aussi une "quincaillerie-droguerie-mercerie-bimbeloterie-souvenirs" où l'on allait parfois acheter je ne sais quoi, une fermeture éclair, une pelote de laine ou une bobine de fil "au Chinois", une blague pour le tabac "gris"... et où je me perdais dans la contemplation des tonneaux en verre contenant du "sent bon" multicolore, des chapelets de shampoing Dop en berlingots, des chapelets tout court, en nacre ou en buis, des Opinel "à virolle" et des Laguiole aux manches de corne, des statuettes de chiots ou de chatons, qui prédisaient la météo en changeant de couleur, des roses artificielles, des vitrines où, tels des bijoux exotiques de plumes et de couleur, étaient exposés des "choses" mystérieuses pour la pêche, une pêche inconnue de moi, qui ne connaissais que le fil accroché à une perche avec au bout, un ver planté dans un hameçon. Pas de bouchon, juste des plombs.
Et parfois, avec beaucoup de chance, un vairon au bout de la ligne... 

Il y avait aussi près de l'entrée, ou de la sortie, c'est-à-dire près de la caisse, un seau en zinc qui contenait de grands cornets de papier multicolores. C'était les "surprises". 
En bons paysans, nous n'avons jamais eu droit à ces "surprises" qui cachaient en fait beaucoup de désillusion sous leur bel emballage, comme je l'appris plus tard, et nous préférions la certitude d'une petite dinette accrochée à un carton par des élastiques, ou parfois, comble du luxe une petite balance à fléau en plastique. 
Ou des billes. 
Ou encore, une petite voiture Norev, moins chère que les lourdes et belles Dinky Toys parfaitement inaccessibles... D'ailleurs, il n'y en avait pas dans la "quincaillerie-droguerie-mercerie-bimbeloterie-souvenirs" de La Bastide


Par dessus tout ça, une odeur spéciale, un mélange savant de bois blanc, de tabac et de savonnette, d'eau de cologne et de brosses en crin, de naphtaline et de carton, de térébenthine et de cirage.... 

Nous avions droit ainsi à un jouet, une fois dans l'été, en général le jour de la fête votive. Pas plus. Nous le savions et en étions heureux. Longtemps à l'avance, nous pesions le pour et le contre, évaluions la qualité, le nombre d'accessoires, les jeux à venir... 

Je ne suis jamais allée au-delà de ce village, que l'on appelait alors Labastide Saint-Laurent-les-Bains, du nom de la gare. 
Sauf une fois, plus tard, à l’arrière de la deux-chevaux fourgonnette grise de l'oncle. 


Ce jour mémorable, nous sommes allés à Langogne acheter des porcelets qui firent le voyage retour avec le cousin et moi ainsi que deux estivantes, toujours à l'arrière de la voiture, et qui furent aussi malades... que nous !


A Labastide se croisent les Grands Chemins. Le "Stevenson" et la "Régordane", mais aussi le GR7, le GR72, le sentier des Gorges de l'Allier, du Roujanel, de la Montagne Ardéchoise, du Cévenol et de la Margeride...  

Je n'étais même jamais allée jusqu'à l'Abbaye trappiste de Notre Dame des Neiges à seulement quelques kilomètres de Labastide. Jamais. Ce qui ne cesse d'étonner le cousin et Brigitte ! Et même l'Oncle.
La Trappe de Notre Dame des Neiges au temps du père de Faucauld

Alors, aujourd'hui, nous laissons Pucky dans le pré et d'un coup de Kangoogris, nous partons en pèlerinage, sur les traces, cette fois, du Père de Foucauld !

La chapelle Foucauld de Notre Dame des Neiges
Nous arpentons tranquillement les abords de l'abbaye, ses prés et ses sous-bois où résonnent la musique de sonnailles de vaches, invisibles mais toutes proches. Quelques "pèlerins" méditent ou prient, en marchant, ou en s'isolant, de simples touristes ou marcheurs rient et parlent fort...
L'abbaye est une grande bâtisse blanche, sans grâce, servant à la fois de boutique et de dortoir.


Nous y achèterons une bière trappiste, forte et parfumée en diable... que nous boirons à l'ombre d'un grand résineux noirs et des confitures que nous offrirons à la cousine Brigitte. 


Nous saluerons également un vieux moine qui tentera, en vain, de nous envoyer, moyennent quelques piécettes, voir la video sur le Père de Foucauld... 


Nous nous contenterons de la visite du petit musée tout à sa gloire et conservant en relique sa vieille besace du désert. 
Une jeune femme, avec un grand tablier bleu, droite et silencieuse, que nous avions aperçue cueillant des mûres dans le bois, nous croise sans un bonjour, sans un sourire ni même un regard....

Deux ânes, simples et tranquilles broutent en contrebas.
 
La Trappe de Notre Dame des Neiges, sanctuaire "au désert", serait-elle devenue une sorte d'auberge épicerie ? 

Un tantinet déçus, nous partons vers Luc, la commune où mes parents se marièrent, en 1947, et qui fit bonne impression à notre voyageur et son âne....


Le village de Luc (origine possible : Lucus = bois sacré, ou Lug = nom d'un Dieu celte,dispensateur de richesses souvent accompagné d'un corbeau, préside aux combats et dirige les arts. Apparenté à Mercure il indique la
route à suivre guide le voyageur
), point stratégique entre les provinces du Gévaudan et du Vivarias, s'étire le long de la voie Règordane, au pied de son ancien château, construit au XIIème siècle, sur un emplacement Celte.

Malgré sa dégradation actuelle, le château conserve les vestiges de l'imposante forteresse militaire qu'il fut...
On note encore sur les murs sa construction particulière dite en "épis de blé" (opus spicatum)



Jusqu'au XIIIème siècle, le château appartint à l'imposante baronnie de la Maison de Luc.
Puis vint la Guerre de Cent Ans....

En 1380, à l'époque où Bertrand du Guesclin meurt au pied de Châteauneuf-de-Randon, il fut assiégé par une troupe anglaise de 2000 hommes.




 



Trois jours entre famille, landes et bois, souvenirs, repas, bivouac, nuits dans le cocon douillet de Pucky Pooka... et ce grand air vif et sauvage aux odeurs de bêtes et de genêts...

Et puis c'est le dernier matin, petit déjeuner pris sur le pouce et au soleil, avant d'atteler et de repartir vers notre colline d'attache.



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